FAMILLE  GOUBIN - POULAT                                                             
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MA VIE À SIGOGNE - 25
Les Chéneby
Monsieur et Madame Chéneby ont été instituteurs dans la région parisienne, à Pantin d’où Madame Chéneby est originaire, avant de se retirer à Sigogne pour y passer leurs retraites. La mère de Monsieur Chéneby (Claudine Dorard) y tient un commerce de mercerie sur la grande place.






[Sur cette reproduction d’une carte postale ancienne, on voit le commerce « Chéneby » au carrefour de la route de Jarnac-Rouillac. Après la disparition de cette mercerie, les lieux seront occupés par le salon de coiffure de Jean Delabrunie et sa femme (« Bidoche et Bidochette »)].
Je n’ai pas connu Monsieur Chéneby (Émile, né à Sigogne le 2 août 1879) , car il est mort des suites d’une mauvaise chute de vélo au carrefour de « Chez Joulaud », en mars ou avril 1945. Son attention avait été détournée par quelqu’un qui l’avait appelé. Il s'était arrêté, mais au moment où il repartait, il avait été happé par la remorque d'une voiture qui venait de le dépasser. Il était tombé de tout son poids (qu’il avait fort lourd) sur la chaussée, et en était mort assez rapidement, à Cognac où il avait été transporté. Pour Madame Chéneby la perte de son mari, qui plus est dans de
 telles circonstances, fut un coup terrible.
           Mais deux mois auparavant, ses amis (mes parents) avaient eu un bébé (moi), et c’est donc assez naturellement qu’en me portant une affection sans limites, elle put canaliser sa peine, et donner un sens nouveau à une vie qui ne lui avait jamais vraiment fait de cadeaux jusque-là (le couple avait eu deux garçons au début du siècle, tous les deux morts très jeunes de la tuberculose. Je me souviens de leurs portraits photographiques, très académiques, accrochés au mur de sa chambre).
Et ce fut le début d’une relation très forte entre elle et moi… Sans que cela n’ait jamais été pensé en ces termes, entre une «vraie» grand-mère, l’officielle, pour qui manifester des signes d’affection aurait été vécu comme une faiblesse, et cette dame sensiblement du même âge qui me nourrissait d’attention, de caresses et d’amour, mon choix fut vite établi. La première serait toute sa vie ma «grand-mère», avec les connotations de distance et de formalisme que le mot induit, alors que la deuxième répondrait toute sa vie au doux nom de « Mémère ».
J’allais souvent voir Mémère, et quand je fus en âge d’aller à l’école, je prenais tous les jeudis matins le chemin des «Trois Marronniers» (il n’y en a plus que deux sur le terre-plein en face du portail), dans le but de déjeuner chez elle.
Au boucher chevalin ambulant qui s’arrêtait ce jour-là devant sa porte, elle achetait un beefsteak énorme, spécifiant à chaque fois au marchand que c’était pour son «petit pensionnaire»… Tous les deux plaisantaient alors sur mon appétit d’ogre, et j’éprouvais une grande fierté d’être ainsi distingué.
 Une fois cette première formalité accomplie, elle allait dans sa chambre pour se changer, puis prenait son sac à provisions en toile cirée noire, et nous partions tous les deux jusqu’à la COOP faire quelques courses. Immanquablement elle profitait de ce passage au magasin pour m’acheter des friandises, les petites bouteilles en chocolat fourrée de liqueur étant mes préférées, mais c’était souvent des « oranges », ou des « citrons », bonbons
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