FAMILLE  GOUBIN - POULAT                                                             
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MA VIE À SIGOGNE - 42
Les autres gens du village
Les Normand
Ils sont quatre. Le père, Maurice, la mère, Lucie, la fille Mimi et le garçon Toto. Ne cherchez pas dans ce texte les prénoms véritables des enfants, car je ne les connais pas. Personne à Sigogne ne les appelle d’ailleurs autrement que Toto et Mimi!
La famille Normand tient la boucherie sur la grande place. La mère Normand et Mimi sont à la boutique, le père Normand et Toto sont à Bigard, un lieu-dit «en bas» du village, sur la route de Courbillac, où ils ont une maison qui leur sert à tuer et préparer les bêtes destinées à la vente.
Quand ils ne sont pas à Bigard ils sillonnent dans leur fourgon Citroën Type H les routes des communes environnantes, à la recherche de bêtes à acheter. En été c’est surtout le soir qu’on peut les rencontrer, assis sur les bornes devant chez eux, bavardant avec les gens qui passent.  
Maurice est diabétique, lourdement, et il a perdu tout son système pileux. Cela lui fait un drôle de visage lunaire, tout lisse et rond, mais pour lui comme pour les autres habitants du village qui ont un petit quelque chose de différent du physique habituel des gens, personne n’y fait réellement attention, pas même les enfants.
Maurice est économe de ses mots, mais ses mots sortent et frappent juste. À Sigogne les Normand sont parmi ceux qui ont le plus recours au patois. Si l’on veut comprendre leurs messages, il y a intérêt à le pratiquer un peu aussi ! Je n’ai pas de problème avec le patois. Je l’utilise spontanément comme ma langue vernaculaire, ce qui me vaut parfois quelques désagréments pour n’avoir pas toujours su faire de différences entre le Français et le Charentais.
Le plus souvent, la viande des Normands est coriace, provenant essentiellement de vaches de réforme. La mère Normand taille d’énormes beefsteaks, balayant d’éventuelles récriminations sous un «vou z’ou man’hrrait bin», (vous le mangerez bien), prend le crayon de papier qu’elle a derrière l’oreille, et note le prix sur le lourd papier gris d’emballage !
Tous dans la famille sont plutôt gros, mais Mimi l’est vraiment beaucoup. À la maison c’est un sujet de plaisanterie car régulièrement papa demande à mon frère Georges s’il ne voudrait pas se marier avec elle. «Farceur, elle est trop grosse» répond mon frère, et tout le monde rit.
Dans la boucherie, il y a de la sciure balancée en pluie sur le sol carrelé, pour éponger le sang qui goutte des pièces de viande pendues aux crochets. Souvent aussi on voit sur les crochets des vessies de bœufs gonflées comme des ballons de baudruche, qui sèchent ainsi, avant d’être remplies de saindoux fondu.
Au fond de la boutique, deux portes de frigo monumentales, à l’avant le billot classique de boucherie, et la balance traditionnelle Testut que l’on trouve dans tous les commerces du village.
En dehors du commerce de boucherie, Maurice Normand prépare parfois des jambons, des «‘hambons de’ d’vant» (les épaules), et des «‘hambons  ‘darrière», (les cuisses), et papa lui en achète que l’on conserve ensuite dans un sac de toile, pendus dans la descente vers le chai. Ils sont délicieux, je les adore à un point tel que quand je rentre de l’école, je m’en coupe de solides tranches pour mon goûter, délaissant la rituelle barre de chocolat noir!
Tous dans la famille ont un accent charentais à couper au couteau, s’expriment à la manière de Goulebeneze, c’est-à-dire dans un sabir de patois et de Français approximatif, le tout avec énormément de finesse et de malice.
J’ai dit que Maurice était un taiseux, ce qui est globalement vrai. Mais il y a des exceptions !
Je me souviens d’un déjeuner d’ouverture de la chasse qui avait eu lieu dans leur arrière-boutique. Il y a là une douzaine de convives, tous chasseurs, tous plus hâbleurs les uns que les autres.
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