J’avais beaucoup d’estime pour cet artisan et une attirance pour son métier. Un jour papa lui demanda s’il pouvait fabriquer pour moi un véritable établi de menuisier. Le père Fromentin accepta, et me proposa de venir le faire avec lui dans son atelier. Ce que je fis. Je ne sais plus combien de temps cela dura, mais j’ai le souvenir de semaines de bonheur à travailler à ses côtés. Le bruit des machines, l’odeur des montagnes de copeaux au sortir de la dégauchisseuse-raboteuse, les scies de toutes formes, rangées sur des clous dépassant des murs… Et un beau jour l’établi fut prêt et c’est avec une fierté sans nom qu’accompagné d’une presse et de son valet tout neufs, il fut installé
à la maison.
Mais je n’en fis finalement pas grand-chose… Je venais d’entrer au lycée d’Angoulême, et quand je rentrais à la maison (une fois tous les quinze jours seulement, et encore quand je n’étais pas collé…), j’avais plus urgent à faire qu’à me coller devant mon établi. Curieusement papa le mit dans son déménagement vers Querrien, et c’est dans la cabane à outils du jardin qu’il fut installé, avant de reprendre la route pour Kermeurzach, à Moëlan…
Et lorsqu’il a fallu débarrasser la maison après le décès de papa, il contribua à alimenter le feu dans lequel nous précipitâmes tout ce dont ni Éliane ni moi ne voulions conserver.
Mademoiselle M…
Mademoiselle M… est une institutrice, adjointe de Madame Delage, alors encore en exercice. Le drame de mademoiselle
M…… c’est qu’elle s’ennuie à mourir à Sigogne, où elle est seule dans son minuscule appartement de fonction… Et la seule issue qu’elle trouve pour échapper à cet ennui total, à ce dépérissement sur pied, c’est de boire. Beaucoup. Et pas la piquette locale, non, du Martini… Elle n’est jamais saoule en classe, mais sitôt la dernière des petites écolières rentrée chez elle, la pauvre fille se précipite sur sa bouteille de Martini. Madame Delage se rend compte assez rapidement du problème, mais n’intervient pas, considérant qu’à partir du moment où cela n’a pas d’incidence sur la marche de la classe, elle n’a pas à s’en mêler. Et Mademoiselle M…. boit, boit… Et cela finit forcément par se savoir dans le village. Le manège dure pourtant une année scolaire entière, mais à la rentrée suivante, Mademoiselle M….. est remplacée…
La mère Balland
Une courte anecdote la concernant. Elle vit dans une maison en face de l’école des filles, plus bas que chez Peytour. Je ne me souviens plus du tout à quoi pouvait ressembler «la mère Balland», mais j’ai toujours en tête une expression, qui revenait à chaque fois que, pour telle ou telle raison, quelqu’un disait «vlan!». Aussitôt il y avait quelqu’un parmi les personnes présentes qui ajoutait : «Et vlan dans les contrevents de la mère Balland» !
Mme Raby
À la belle saison, Madame Raby est assise sur une grosse pierre encadrée de roses trémières, sur le côté de son portail. Je la croise là quand je me rends chez Madame Chéneby. Elle me paraît alors être une très vieille femme. Même pendant les mois les plus chauds, quand la chaleur est suffocante, elle est là, tout de noir vêtue, portant des mitaines de laine, et maniant sans interruption son jeu d’aiguilles à tricoter les chaussettes.
Quand j’arrive à son niveau, je ne manque pas de la saluer «-Bonjour Madame Raby, - Bonjour mon p’tit garçon…» me répond-elle doucement, sans relever la tête de son ouvrage, et ne semble pas me reconnaître… Pourtant Madame Chéneby m’a souvent