FAMILLE  GOUBIN - POULAT                                                             
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MA VIE À SIGOGNE - 52
La Saint-Jean
La Saint Jean est fêtée tous les ans à Sigogne. Dans les jours qui précèdent, quelques volontaires arpentent les fermes de la commune afin de collecter les javelles qui seront brûlées le soir du rassemblement. Au fur et à mesure où elles arrivent, elles sont savamment empilées près de la bascule municipale en une tour de quatre ou cinq mètres de diamètre, pour six ou sept de hauteur.
Le soir venu, tout le village se rassemble à une distance respectueuse, et la montagne de fagots est enflammée.
C’est dantesque, les sarments crépitent, des nuées d’étincelles grimpent dans la nuit, tandis que des flammes d’une dizaine de mètres ont tôt fait de dévorer les fagots. Tout le monde applaudit, pris par cette fièvre. Quand le feu retombe un peu, une ronde s’improvise. Il y a à cet instant une ferveur, une communion entre tous, jeunes et moins jeunes, qui sont présents sur la place ce soir-là. Mes yeux d’enfant sont émerveillés par le spectacle, et je suis fier d’appartenir à cette communauté d’êtres.
En cinq minutes à peine, les deux ou trois cents javelles sont brûlées, et il ne reste bientôt plus qu’un tas de braises rougeoyantes. C’est à ce moment-là que quelques jeunes gars téméraires s’élancent pour sauter par-dessus le brasier. À chaque fois ce sont des cris, de peur ou d’encouragement, des applaudissements aussi, qui saluent ces performances un peu folles…
Mais progressivement la plupart des gens venus au spectacle en famille retournent chez eux, et le silence reprend possession de la place.  
Comme beaucoup d’autres coutumes, celle du feu de la Saint Jean semble avoir disparu à Sigogne… Il est vrai que plus personne ne ramasse les sarments de vigne pour en faire des javelles !

Tuer le cochon, la basse-cour
En dehors des événements clés qui rythment la vie à Sigogne, à savoir les moissons et les vendanges, il en est un autre, tout aussi important, qui est l’abattage du cochon et des animaux de la
basse-cour. Pendant une semaine environ on égorge, on étripe, et on plume. Dans telle ou telle ferme où cela se passe, parents, amis, et voisins sont réunis, et se partagent les tâches… Il y a des cris d’animaux, et des cris d’humains, tous mélangés. On court en tous sens pour échapper au couteau, comme on court en tous sens pour rattraper les fuyards. En une matinée, un ou deux cochons et une cinquantaine de coqs, oies ou canards sont sacrifiés ainsi, sous les ordres de quelques maîtres de cérémonie à la capture et l’abattage, à la corvée de plumage, à la découpe des bêtes et à la préparation des plats.
Quand toutes ont été mises à mort et débarrassées de leurs plumes, soies et tripes, vient le temps des préparations. Du boudin d’abord, des pâtés ou «grillons», des confits. Chaque famille a ses recettes, à la fois très semblables et très différentes de celles des autres familles. Cela se joue sur des détails, les quantités de sel ou de poivre ou d’oignons, sur la présence ou non d’ail, sur les proportions de viandes maigres et grasses. Parfois on prend grand soin de conserver les duvets d’oies et de canards, car ils se retrouveront ensuite dans les édredons de la famille… Dans un coin s’entassent «les plumeaux», parties terminales des ailes des oies, qui seront ensuite utilisés comme balayette, pour les cendres tombées des poêles par exemple. Il n’est pas une famille à Sigogne qui ne dispose de son plumeau !
Les préparations sont cuites dans d’énormes chaudrons, destinés à être mangés dans la semaine, ou mis en bocaux qui seront conservés toute l’année dans les caves, ou encore mis dans d’énormes saloirs ventrus. Les frigos et autres congélateurs n’existant pas encore dans les fermes, la conservation de toutes ces victuailles est donc un enjeu important.
Tous les participants bénévoles recevront une part du butin, ce peuvent être des saucisses, du boudin, un quartier de viande, ou des pots de pâté, ou même une volaille. Tous également partagent les repas du midi et du soir, pour lesquels sont préparés en parallèle les bas morceaux. C’est la «sauce de pire» où se retrouvent couennes de porc, sang, poumons et foie coupés en
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