FAMILLE  GOUBIN - POULAT                                                             
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MA VIE À SIGOGNE - 57
remarquer, n’apprenant pas souvent ses leçons et étant sans arrêt occupé à faire le clown, il est également vrai que le maître lui mène la vie très dure. Il nous arrive de rire sous cape de ses grimaces lorsque Monsieur Blanc le «tire par les petits cheveux» ou lui assène des coups de règle sur le bout de ses doigts joints en pointe, mais nous ressentons confusément que la violence des punitions est sans commune mesure avec les fautes commises, et nous le plaignons plutôt.
Patrick ne proteste jamais, ni ne pleure, reste calme pendant quelques minutes après la séance répressive, semblant avoir enfin compris la leçon, mais rapidement ses démons reprennent le dessus et il recommence à attirer l’attention sur lui ! Dans la cour de récréation, réputée pour être le lieu où les moqueries et brimades entre élèves peuvent s’exercer le plus librement, jamais nous ne prenons Patrick Bourrinet à partie, ni ne nous moquons de lui.
Il faut dire qu’à l’époque, l’instituteur est le maître absolu dans sa classe et peut tout se permettre dans la gamme des punitions ou brimades, sans que personne parmi les parents ne songe à venir se plaindre ou lui demander des comptes.
À gauche de l’entrée dans la cour de l’école, se trouve un petit bâtiment dont on peut supposer qu’il avait été celui des gardiens de cette «demeure». C’est là qu’officie une dame tout de noir  vêtue, Madame Roy je crois, employée par la mairie, chargée en particulier de faire chauffer le lait issu des surplus de production, que le premier ministre Pierre Mendès-France avait eu la bonne idée de faire distribuer à tous les élèves de France cette année-là, à la récréation du matin. (Par dérision, les esprits forts du moment affublèrent le premier ministre du sobriquet de «Mendès-Lolo»). Fort heureusement pour moi qui ne supporte pas l’odeur du lait chaud, l’école a trouvé les finances nécessaires à l’achat de boîtes de Banania, et j’adore comme les autres cette pause chocolat-au-lait, que Madame Roy nous sert largement dans de grands verres en Pyrex.
C’est cette même dame qui le soir, après le départ des élèves, passe le balai dans les salles de classe. Je me souviens avoir trouvé fort
astucieux l’utilisation qu’elle fait d’une boîte de conserve percée de multiples petits trous qui lui permet d’arroser le plancher, et de fixer (un peu) la poussière que les vigoureux coups de balai de la dame soulèvent sinon! Et c’est également elle qui a aussi la charge de nettoyer  «les cabinets», qu’elle finit par arroser généreusement de Crésyl.
La chasse
Quand je suis enfant, la chasse occupe une place importante dans notre vie, revient très fréquemment dans nos conversations, rythme nos saisons. Aussi importante dans nos vies que Noël ou nos anniversaires, l’ouverture de la chasse est une date clé dans le calendrier.
Mon grand-père était un fin chasseur, il était donc très naturel que son fils (papa) le fût, comme il sera tout aussi naturel que je le devienne quelques années plus tard.
À huit dix ans je n’ai pas de fusil bien entendu (j’en aurai un à seize ans), mais je bats consciencieusement la campagne avec papa chaque fois qu’il part traquer les cailles, les perdreaux ou les lièvres. Les veilles d’ouverture, je suis comme les chiens : je ne tiens plus en place. J’assiste papa dans ses préparatifs. Nettoyer le fusil, visser la brosse de laiton au bout d’une baguette, puis la passer plusieurs fois à l’intérieur des canons, après quoi il faut utiliser un chiffon doux pour enlever les poussières, avant d’enfin y glisser l’écouvillon de laine huilé pour le protéger de l’érosion.
On démonte puis remonte le fusil plusieurs fois, le claquement du fusil qu’on referme affole les chiens qui tournent autour de la table de la salle à manger, ou hurle à la mort quand ils sont restés dehors…
Cette première tâche terminée, il faut faire un stock raisonnable de cartouches pour le jour de l’ouverture, car ce jour-là, les chasseurs ont tendance à tirer à tout-va...
Sertisseur, bourroir, demi-bourres, bourre graissée, boîte de poudre, doseurs, tout est là, bien proprement rangés sur la table. Papa n’utilise que des douilles neuves (petits culots ou grands
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