FAMILLE  GOUBIN - POULAT                                                             
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MA VIE À SIGOGNE - 68
Épilogue
Été 1959. J'ai quatorze ans. Après avoir été renvoyé du lycée d'Angoulême pour une faute que je n'avais pas commise, j'ai passé au CEG de Jarnac une année merveilleuse en 4ème, et m'apprête avec plaisir à y retourner pour ma 3ème.
Là, je suis allé rejoindre Éliane en Angleterre, et revient en train de ce voyage début août. À ma descente du wagon, à Angoulême j'aperçois papa et grand-mère qui sont venus m'accueillir, en compagnie de Madame Delage présente également. Ma grand-mère, qui ne m'a vu depuis un an au moins, m'accueille avec sa gentillesse habituelle : " Tu as une tête de voyou ! "
Heureusement, les deux autres sont beaucoup plus chaleureux, et me voilà tout heureux de rentrer chez moi.
Ma joie sera brève, car ce sont des perspectives bien funestes qui m'attendent.
C'est ainsi que j'apprends que papa a vendu son étude à Monsieur Gasqueton (hobereau ayant épousé une fille de la famille Capbern, riche propriétaire de vignobles dans le Cognaçais, et à Saint Estèphe) et qu'il a acheté celle de Me Gire, à Querrien, village à une dizaine de kilomètres au nord de Quimperlé dont j'ignorais jusque-là l'existence !
Tout ceci ayant pour conséquence que nous allions devoir quitter Sigogne.
Personne n'ayant été mis dans le secret, la surprise fut totale
J'ai souvent cherché les raisons profondes de cette décision…
C'était sans doute en partie pour faire plaisir à sa mère (qui ne lui en manifesta jamais aucune gratitude), en partie peut-être aussi pour remettre ses pas dans les pas de son enfance (ce qui se révéla complètement chimérique, 50 années ayant modifié, voire effacé toutes les traces de ce passé).
Mais la raison principale à cet exil est, je pense, à chercher ailleurs. La mort de maman en 1954 nous laissa tous dans un chagrin et un désarroi sans bornes. Au fil des mois, puis des années qui passaient, une évidence a dû s'instiller en papa, celle qu'il ne lui était plus possible de vivre dans cet environnement où chaque pièce, chaque objet, chaque arbre, chaque bruit du quotidien, chaque personne croisée dans le village, tout lui renvoyait l'image de son amour disparu.
Quoi qu'il en soit, c'était une nouvelle terrible pour nous trois, ses enfants, et il n'est pas exagéré de dire que nos vies s'effondraient une nouvelle fois. Ce fut terrible aussi pour Madame Chéneby qui nous aimaient tous comme si nous étions sa famille.
Un déménagement général se profilait donc à court terme, mais pour moi il allait être bien plus abrupt. En effet, comme papa et grand-mère avait décidé que je ferais ma rentrée scolaire au lycée de Quimperlé, j'eus une semaine pour préparer ma valise, dire au revoir dans l'urgence à quelques personnes qui m'étaient chères, avant de monter dans un train en compagnie de ma grand-mère cette fois, pour Quimperlé…
Des années plus tard, Georges retournera vivre à Sigogne, papa tint à y revenir finir sa vie, et Éliane, maintenant propriétaire de la maison de Mme Chéneby, s'y rend plusieurs fois par an. Tous trois, chacun à sa manière, essayèrent de retrouver ce lien, sans succès (sauf pour Georges peut-être) au moins dans sa forme primitive.
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