Préambule
Aucun mal à imaginer que le départ de Savoie fut un déchirement, pour maman d’abord, qui fut arrachée à son cadre familier, à ses parents, à ses amies, et ne reconstitua jamais cela à Sigogne où elle s’ennuya… à mourir. Mais des conversations que j’ai pu avoir avec lui, ce fut une souffrance pour papa également. Sigogne est un trou perdu dans les vignes et les champs de blé. La mer (et encore, quelle mer !) est à 90 kilomètres, une distance faramineuse à l’époque. Peut-être ce choix s’est-il imposé comme étant à mi-chemin entre la Savoie et la Bretagne. En fait Sigogne n’est à mi-chemin de nulle part. Il est nulle-part ! Maman s’en persuadera assez rapidement et aura toute sa vie une nostalgie infinie pour ses montagnes…
C’est donc dans cette petite commune de Charente qu’en 1936 (il me semble) mes parents (et mon frère Georges) débarquent.
Avec son diplôme tout neuf de notaire, Papa va succéder à Maître Lozé qui déménage pour Chatellerault. Il s’installe alors dans une immense maison du bourg, une maison de maître, une « demeure » comme on dit à Sigogne, propriété d’une famille de Nice, les Gianotti. D’abord locataire, il en fait l’acquisition après la guerre grâce à l’argent prêté par quelques amis. M et Mme Mary à Quimperlé, Mme Chéneby à Sigogne, M Valentin (propriétaire d’un hôtel à St Firmin) entre autres, qui l’aideront . Sans doute fâchés de voir leur fils s’installer loin d’eux, mes grands-parents Goubin ne prêteront pas grand-chose pour l’aider..
Vue de l’extérieur, la maison principale et ses dépendances peuvent faire illusion… La vie de château en quelque sorte… Oui mais, la réalité est bien moins enthousiasmante, les toitures seraient à refaire en totalité (il y a des gouttières un peu partout qui nécessitent qu’on mette des bassines dans les greniers), les chais sont en mauvais état et menacent ruine pour certains d’entre eux. (l’un des chais est d’ailleurs connu sous l’appellation de
« chai démoli » !). Les murs d’enceinte du « clos » s’effondrent par pans… Délicieusement fraîche les mois d’été, les hivers dans cette maison sont détestables de froid et d’humidité. Il y a certes des cheminées dans presque toutes les pièces, mais elles ne sont que très rarement utilisées, car elles consomment des quantités astronomiques de bois. Alors il reste un poêle dans le bureau de papa, et une grande cuisinière à charbon dans la cuisine pour chauffer les quatorze pièces de l’ensemble. C’est très très peu !
Exceptionnellement, on allume un feu dans les petites chambres quand il gèle à pierres fendre, et dans la cheminée de la « grande salle à manger » qui engloutit des fagots de sarments de vigne, les « javelles », dans d’immenses et féeriques flammes pour les repas de fête.
Je n’ai hélas aucun détail sur cette période où mes parents découvrent Sigogne et s’y installent. Sont-ils enthousiastes, inquiets, voire désespérés de se trouver dans ce village où ils ne connaissent personne. Au tout début, les seuls qui peuvent leur servir d’intermédiaires sont les Lozé. Intermédiaires apparemment efficaces d’ailleurs puisque leurs propres amis, les Chéneby et les Delage, deviendront très rapidement les amis de mes parents, et le resteront jusqu’à leurs morts respectives. Mais au-delà de ces premières sympathies, la simplicité de papa, la gentillesse de maman, leur façon de vivre très modeste ouvriront très vite les portes et les cœurs des habitants de Sigogne.
Si je ne pose pas trop de questions au sujet de l’emploi du temps de papa, occupé par son métier pour assurer les rentrées financières nécessaires à la marche de la famille, courant d’une ferme à l’autre à la reconquête d’une clientèle perdue par ses prédécesseurs, et s’échappant quand il le peut dans les bois et les champs pour traquer lièvres et perdrix, je me demande bien à quoi pouvaient ressembler les journées de maman… Qu’est-ce qui pouvait bien l’occuper, à part les corvées interminables et épuisantes de ménage…Comment pouvait-elle échapper à l’inévitable nostalgie de ses montagnes, de sa famille, de ses amies… Certes elle devait prendre son rôle de ménagère et de