Comme cela se pratique à l’époque, chaque médecin fait prisonnier et libéré doit faire à son retour un rapport de captivité à l’état major. Le « médecin-auxiliaire » Marcel Lelong, après être passé par le camp de Münster, est envoyé à celui de Grodno, en Biélorussie (ex Prusse Orientale) où il atterrit au « Franzosen Komando n°IV » le 7 mai 1916.
Or, c’est précisément dans ce K. IV que croupit Gabriel Ange Goubin depuis qu’à la suite de son refus de travailler au camp de Minden il y a été envoyé en représailles, un an auparavant.
De part sa fonction, Marcel Lelong a donc très probablement rencontré Gabriel Goubin. à Grodno.
Ce rapport est un témoignage capital pour comprendre ce qu’a pu être la captivité de mon grand-père entre mai 1915 et juin/juillet 1917.
Un grand merci à Vincent Lelong petit fils du médecin, qui m’a donné l’autorisation
d’utiliser ce rapport, livré ici in extenso.
http://genealogie.lelong.pagesperso-orange.fr/genealogie/m_l05.htm
« Le 29 avril 1916, j’ai reçu l’ordre du général STEINECKE de partir en Russie. Avec
trois autres médecins auxiliaires (Martin DE LAULERIE, 324è R.I., WILLOT, 233è R .I.,
ALBERTI, 114è Artillerie lourde) je fus affecté au Franzosen Kommando n°IV. Nous
quittâmes le camp de Münster le 1er mai, obligés de porter nous-mêmes nos bagages,
pour celui de Celle-en-Hanovre, où se faisait le rassemblement du détachement. Les
1.500 sous-officiers et hommes de troupe composant le Kommando étaient recrutés surtout
parmi les intellectuels ; parmi eux se trouvaient, outre les médecins, une centaine
au moins d’infirmiers. Tout le détachement fut entassé dans des wagons à bestiaux
le 4 mai et débarqué le 7 à 8 heures du matin à Grodno. Là il fut fractionné en de
nombreux sous-détachements de 50 à 100 hommes placés sous le commandement d’un Unteroffizier
ou d’un simple Gefreiter.
Tous ces sous-groupes furent dispersés, très éloignés les
uns des autres, dans le pays forestier et marécageux, qui s’étend à l’Est de Grodno,
depuis 20 à 80 km de cette ville.
Chaque sous-groupe eut rejoint son cantonnement
le 11 mai, en moyenne par deux journées de marche très pénible, avec chargement plus
que complet, dans le sable, sous le soleil, sans recevoir de nourriture, à peu
près sans boire, et enfin sous les coups de crosse des sentinelles.
Les principaux
cantonnements étaient : Osjory, Lakna, Babino, Pod-Biloü, Pérekop, Sklensk, Zuckary,
Dubinka, Sackrjenstschtschina, Eljentoschissna, Marzinckanzy, Waziliski, Lewaschoska,
-etc.
Quand les sous-groupes furent installés aux points de travail, commença pour
tous les prisonniers un régime implacablement dur. Méthodiquement les allemands s’attaquèrent :
1) aux corps :
a. d’une part en imposant aux prisonniers un travail extrêmement pénible
b. d’autre part, en les soumettant à un véritable régime de famine au sens littéral du mot
c. enfin, en les faisant séjourner dans une région malsaine, marécageuse, infestée par des légions de moustiques qui ne permettaient même pas aux malheureuses victimes de prendre, après leur rude journée, un repos bien gagné. L’impression de faim jamais assouvie et les douleurs dûes aux assauts continus, nuit et jour, des moustiques, - restent les deux souvenirs dominant dans la mémoire des prisonniers de Russie.
2) au moral, - par l’isolement systématique, absolu pendant les deux premiers mois : aucune lettre, aucun colis n’arrivèrent avant le début de juillet.
Voyons maintenant la question plus en détail :
Logement
Au mieux : vieilles chaumières russes abandonnées, en bois, mal closes,
insuffisamment protégées contre la pluie et le froid (qui malgré la saison fut encore
intense en mai et pendant la première quinzaine d’août).
A Babino : hutte de bois
vermoulu, impossible à décrire.
A Sackrjenstschtschina : écurie immonde où avaient
logé des prisonniers russes (qui y étaient enfermés et ne pouvaient même pas sortir
pour faire leurs besoins). A l’arrivée (14 avril) il nous fallut enlever une épaisseur
de plus de 60 cm de fumier en putréfaction et rempli de purin. Après quoi, il en
restait une égale épaisseur ; nous dûmes cependant la laisser, - car ce n’est que
huit jours après que l’officier allemand (Oberleutnant NAUMANN) consentit à laisser
continuer le nettoyage. On put faire des bas-flancs sur lesquels on installa des
paillasses contenant une très mince couche de fibres de bois humide. Personnellement
j’ai couché 4 nuits sans paillasse.
LE RAPPORT LELONG - 1/4