FAMILLE  GOUBIN - POULAT                                                             
Goubin gabriel Ange            rapport marcel lelong-02

L’écurie exhalait une odeur repoussante de putréfaction ; il n’y avait aucune fenêtre ; l’obscurité y était complète, même le jour. Sur mes réclamations continues, le lieutenant me dit « qu’il était prêt à recevoir toutes mes doléances au point de vue de l’hygiène du camp », il me promit beaucoup ; mais, hypocritement, retarda le plus possible l’exécution des améliorations, - à tel point que celles-ci n’étaient qu’ébauchées quand je suis parti de Russie le 8 septembre.

Nourriture
Le régime alimentaire était une honte. On peut dire que les prisonniers furent systématiquement affamés, surtout pendant les trois premiers mois. Voici le menu pour un homme, par jour :

1. matin : un demi-litre d’eau noire (eau dans laquelle on avait fait bouillir une poudre noire sans saveur, sans odeur, impossible à baptiser). Pas de sucre.

2. un seul repas extra-liquide. Un demi-litre d’eau chaude dans laquelle nageait une quarantaine de cossettes de betteraves fibro-ligneuses, déjà travaillées en sucrerie, puis desséchées, qu’on ne pouvait même pas mâcher. Pas de graisse.

Ou des œufs de morue très salés.
Ou quelques fruits desséchés et pourris (deux ou trois figues, deux ou trois pruneaux, deux ou trois vieilles poires).
Ou quelques grains de millet de dernière qualité.
Ou une farine non liable, d’aspect jaune verdâtre, amère, indigeste, qui devait être de la farine de gland. Quelquefois on y associait quelques grains d’orge décortiqué ou du maïs concassé. Plus rarement une demi- pomme de terre.

Une fois par quinzaine au maximum : un hareng ou une cuillerée à café d’une marmelade chimique, qui, régulièrement, provoquait une épidémie de diarrhée.

Enfin trois ou quatre fois pendant tout l’été : quelques fibres d’une viande pourrie, verdâtre, bourrée d’asticots.

3. le soir : un demi-litre d’eau noire ; plus tard un liquide roux, appelé cacao, qui en avait à peu près la couleur, peut-être un peu l’odeur, jamais le goût.

Ration de pain quotidienne : 500 grammes, - pendant les deux premiers

mois à peu près complètement moisi ; d’où déchet que l’on ne remplaçait que quelquefois. Le pain contenait plus de pomme de terre et plus de maïs que le pain K ordinaire.

Il résulte de ce menu absolument authentique, que nous vécûmes pendant trois mois une sensation continue de faim qui, chez certains, tournait à l’angoisse. Cette sensation avait pour conséquence la préoccupation constante pour chacun de trouver quelque chose à manger. Nous mangeâmes de l’herbe, de l’oseille sauvage, des champignons simplement cuits à l’eau sans sel, de la cigogne, des grenouilles, des petits oiseaux dont certains recherchaient avidement les nids, - certains même ont mangé de la couleuvre – d’autres (Dubinka) ont dépecé un cheval mort abandonné par les allemands. Il est impossible de décrire cette anxiété causée par la faim, jointe aux tourments dûs aux moustiques.

Ce régime fut implacable pendant les mois de mai et de juin. En juillet il ne fut pas beaucoup amélioré par les colis : ceux-ci n’arrivèrent qu’irrégulièrement, très incomplets et pourris. Vers le 15 août il y eut une amélioration un peu plus sensible ; on introduisit un peu plus de pommes de terre dans le repas toujours unique et insuffisant ; heureusement les colis arrivèrent un peu mieux.

Travail
En comparant ce régime aux efforts physiques exigés par le travail, on est surpris non seulement du courage, mais de la force de résistance de notre vieille race française, - force qui a étonné nos gardiens.
Tout le monde travaillait (caporaux et sous-officiers), - sauf les adjudants qui surveillaient et les infirmiers. Une partie des infirmiers assistait au travail ; le reste était occupé à la cuisine. Les sous-officiers furent exemptés de travail vers le 1
er août.
Le travail consistait en : abattage de très gros arbres, équarrissage, transport, chargement sur des wagons, lesquels étaient poussés sur un parcours de 30 km, jusqu’à un dépôt de bois ou une scierie.

Plus rarement : récolte de la résine, travail plus léger qui permettait de ménager les hommes les plus fatigués.

Le chantier était souvent distant de 5 à 6 km du cantonnement ; alors la marche ne comptait pas dans les heures de travail.

Un jour de repos par semaine, rendu souvent illusoire parce qu’il fallait aller à Osjory à la désinfection (30 km de marche).

Nombre d’heures de travail : 9 à 10 heures par jour, sans pause ; six heures seulement à Sackrjenstschtschina.


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LA GUERRE DE 1914-1918