FAMILLE  GOUBIN - POULAT                                                             
Goubin gabriel Ange             lettre de marcel granjon

Le 26 Juillet 1916

Cher Monsieur,

Je viens vous écrire ces lignes pour vous donner q.q. renseignements sur la vie au camp de Marzinkanzy, près de Grodno (Russie) où je vie actuellement. J’espère que cette lettre vous parviendra comme les précédentes, qu’il m’avait été permis de vous écrire en suite de la demande que vous en aviez faite.

Vous savez que (…) j’ai été envoyé à Marzinkanzy où je me trouve depuis le 13 Juillet.

Nous sommes ici environ 400 personnes, Français «profession libérales» y compris mon ancien groupe de Sydow, mais aucune explication ne nous a été donné sur notre situation, nous ne savons pas si nous sommes ici en représailles ou non; nous pensons y demeurer peu de temps. Le climat, croyons-nous, ne permettant pas d’y séjourner dans les conditions actuelles au-delà du commencement sept.

Le camp où nous sommes comprend 2 tentes, sous lesquelles nous couchons – il n’y a ni plancher ni isolateur, pourtant en rapportant des branches de la forêt, nous avons pu nous fabriquer des matelas (hier

25 Juillet il nous a été distribué des toiles de paillasses, destinées à contenir la frésille). Nous sommes arrivés ici avec deux couvertures, mais les nuits sont fraîches, et comme nous sommes dans une période

d’orage, nous recevons souvent pendant la nuit la pluie passant par les nombreux trous des toiles de nos tentes.

Nous avons été autorisés a emporter avec nous, de nos camps précédents, 15 kg de bagages, ce qui représente à peu près le nécessaire comme linge (chemises et caleçons, flanelles, tricots, chaussettes, mouchoirs, serviettes) et galoches ou souliers de repos.
Nous n’avons pas reçu de lettre ou colis depuis le 5 Juillet, dernier jour

passé à Stendal, nous en serons privés ici 2 mois dit-on (nos prédécesseurs ici étaient dans les mêmes conditions).
Le travail est assez pénible pour des hommes non habitués aux travaux


manuels. Les soldats de 1e classe, caporaux et caporaux fourriers sont astreints au travail et payés la même somme (0,30 pf par jour).

Nous partons au travail à 5 h du matin après avoir bu une gamelle de boisson chaude aromatisé* au café – pause de 10 h à 10 h ½ pour le déjeuner (boissons chaude aromatisé au cacao) –retour au camp à 3 h où

nous recevons une gamelle de soupe claire (orge, maïs, résidu de betterave, etc...) le soir à 6h boisson chaude (cacao) ou bouillon quelconque, parfois nous recevons en supplément une cuillerée de marmelade ou un hareng.

Travail par tous les temps, repos le mercredi.

Le service sanitaire du camp (médecin et infirmiers) n’est pas payé; en représailles, nous dit-on officiellement, de ce que le service sanitaire allemand en France n’est pas payé.

Pour l’hygiène, organisation nulle: 4 planches pour laver le linge, ni douches, ni bains, ni lavoirs; pas d’eau chaude, pas de savon, ni baquets ni cuvettes (il faut se laver les mains ou les pieds, laver le linge dans la gamelle ou nous recevons la soupe).

Dans le camp 2 pompes, elle portent toutes deux l’écriteau «eau non potable», l’une sert pour laver, l’autre pour la cuisine et pour boire. Les W.C. sont remplacés par une fosse non couverte. Sous la tente, des puces

-au travail, dans la forêt, le voisinage des marécages ou mollards

nous procurent de nombreux moustiques qui font des piqures assez douloureuses. Aucun service religieux, pas de repos le dimanche. Aucune cantine, on nous vend seulement, environ 2 fois par semaine, cigares et cigarettes, petites savonnettes (0,70 pf) chocolat (0,75 pf) la tablette ayant moins de 100 g, cirage et graisse à chaussures.

Il est interdit de faire de la musique, les instruments vendus dans les autres camps ont dû être mis de côté.

Les derniers colis que j’ai reçu à Stendal dataient du 13 Juin. Le pain a été retiré de tous les colis arrivés après le 30 Juin, pourtant à ce jour, nous n’avons encore vu aucune distribution du pain envoyé par le gouvt français

-Nous recevons ici notre part de pain noir habituel.

Pour l’argent, je n’ai encore pas reçu (malgré de nombreuses réclamations) les mandats envoyés par ma famille en Janvier, Février et les mois suivants. Beaucoup sont dans mon cas. On nous dit que ces retards proviennent de nos changements de camps. Pourtant ici, 4 jours après notre arrivée, on enfermait en cellule qq uns de mes camarades, pour les punitions infligées à Stendal et qui avaient suivies!). Je vous

prie de ne pas faire part à ma famille de ma situation, il est inutile qu’elle se tourmente, du reste je suis en très bonne santé.

Comme vous voyez cette lettre est rédigée sans littérature, sans exagération et sans parti pris, elle cite des faits scrupuleusement exacts. (…)
Votre dévoué



Lettre de Marcel Granjon (26 07 16)

Marcel Granjon, clerc de notaire à Saint-Étienne avant la guerre, a été fait prisonnier dès septembre 1914. Au cours de sa captivité, il connaîtra une demi-douzaine de camps dont celui de Marzinkanzy, camp satellite de celui de Grodno. Il reviendra  en France en 1919.

Sa lettre est issue du tome 4 de « Mémoires de la Grande Guerre », de Lucien Barou, consultables et téléchargeables sur le site du Conseil général de la Loire, à l’adresse:
http://www.loire.fr/jcms/lw_1056847/lucien-barou-fait-revivre-la-memoire-des-poilus

LA GUERRE DE 1914-1918