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Nous fûmes tous pendant huit jours séparés du monde, cependant que la fièvre grandissait,
nous poussant à faire quatre ou cinq fois par jour le dur trajet de Brigneau à Moëlan
(2), pour surprendre au télégraphe quelques renseignements, venus de Concarneau ou
de Ouimperlé.
Les uns ne voyaient dans les événements qu'un formidable bluff; les autres regardaient le ciel, tendaient la main pour s'assurer que la pluie était une réalité et rentraient chez eux en grommelant : «Quelle charogne de temps ! »
Bribes par bribes les événements qui précédèrent la déclaration de guerre finirent par atteindre la côte perdue. Les inscrits maritimes formèrent des groupes. Dans ce paysage tranquille et simple, les événements se déformaient et prenaient une signification surnaturelle.
Les gendarmes pressentis laissèrent entendre que la mobilisation était imminente.
Des propriétaires d'autos devaient prêter leurs voitures pour parcourir les communes
privées de communications rapides.
J'habitais une maisonnette située dans l'intérieur
des terres, près de Kergoez (3).
(2) Environ cinq kilomètres de Malachappe au bourg de Moëlan.
(3) Il s’agit de Kergroës,
autre hameau de Moëlan sur Mer, à deux, trois kilomètres de Malachappe.par la route
côtière.
Un de mes amis, architecte à l'École des beaux-arts, possédait une chambre dans cette maison.
Un matin il reçut une lettre de sa mère ; il nous la montra pour lever nos doutes.
Cette belle Française écrivait : « Mon enfant, il est temps de rentrer. Tu trouveras ton uniforme déplié sur ton lit...»
Nous résolûmes de partir le lendemain. Le soir, à l'hôtel Bacon, devant la jetée
(4), nous trinquâmes ensemble, car nous étions tous mobilisables et chacun de nous
possédait assez d'imagination pour évaluer l'envergure du cataclysme.
— Je crois qu'on
ne peut plus douter, dit Jacquet, le directeur de la Sardinerie (5).
Jacques Vaillant
se leva, prit ses couleurs et sur le mur blanchi à la chaux de la petite salle à
manger dessina et peignit un soldat d'infanterie croisant la baïonnette.Au-dessous
il écrivit la date et chacun de nous vint signer en indiquant le numéro du régiment
qu'il allait rejoindre.
Je pense que je ne reverrai
pas sans émotion cette
image,
surtout les noms
de ceux qui ce soir-là
s'inscrivirent, avec cette
subite camaraderie,
qui
n'était plus la camaraderie
civile, mais l'autre,
la camaraderie du sang.
L'un
de nous se leva
et les poings serrés sur
(4) C’est cette jetée qui est figurée sur le premier dessin (page 2). Elle protège
le port de Brigneau des coups de vents de suroit.
(5) Il y avait à Brigneau plusieurs
sardineries, de tailles très variables. La deuxième moitié du XX° siècle les as
vues disparaître les unes après les autres… Celle qui est évoquée ici était la plus
grande, elle dominait l’avant-port de Brigneau sur sa rive droite. Fermée elle aussi
en 1968,, elle a fini par être totalement rasée en 2001, à l’exception d’un mur,
conservé pour témoigner (?) de ce passé fertile où les termes « mondialisation » et
« économie globale » n'existaient pas encore.