FAMILLE  GOUBIN - POULAT                                                             
Poulat lÉon (PAUL)                   la guerre de 14-18 (1)

La Prévôté pendant la grande guerre


À la mobilisation d'août 1914, mon grand-père Léon Poulat a 36 ans. Gendarme à pied depuis 1903, il est tout naturellement affecté le 2 août à la "Prévôté aux Armées", c'est à dire dans une unité qui assure les services de police, au front principalement.
Quand on cherche à se renseigner sur le rôle exact de ces troupes particulières, on est frappé par l'antipathie qu'ils ont pu provoquer chez les soldats du front…
Pour bien comprendre pourquoi un ressentiment aussi violent a pu exister, il faut se pencher sur les missions qui leur sont confiées, et sur les reproches qui leur sont faits par la troupe… Cette police des cantonnements militaires lutte contre les abus de boissons, contre les actes de pillages, d'espionnage, de défaitisme, contrôle la circulation et les civils présents dans la zone des armées, encadre aussi les transferts de prisonniers de guerre…
Or, si les combattants acceptent bon gré mal gré la rigueur de leur hiérarchie, il conteste celle des gendarmes qu'ils considèrent d'abord comme des planqués et des "embusqués", mais aussi comme des mouchards, des empêcheurs de jouir d'un peu de la vie quand cela pourrait leur être permis… Des emmerdeurs quoi!
Et certaines de leurs missions focalisent particulièrement la haine des troupes combattantes…
Ce sont en effet les gendarmes de la Prévôté qui les chassent des estaminets de l'arrière quand ils y restent trop longtemps pour noyer leurs malheurs dans l'alcool, qui vont chercher et ramener les soldats en permission qui traînent un peu pour revenir au front, ce sont eux également qui arrêtent les mutins, qui bloquent les fuyards, traquent les déserteurs, qui les conduisent, les  encadrent auprès des cours martiales, …
Pour se faire une idée de cette animosité que les combattants
éprouvent à l'égard des gendarmes de la Prévôté, il suffit de lire cet extrait de "Ceux de 14", le poignant témoignage de Maurice Génevoix.

…"Eh bien ! oui, ceux du Quartier général sont odieux ! Qu'un soldat passe par les jardins et se glisse dans l'arrière-boutique d'un bistrot, s'il y trouve un gendarme aux aguets, ce gendarme-là est odieux. Il " signale " le soldat, le fait " mettre dedans ", et il est encore plus odieux.
II est gendarme. Pendant notre dernier repos, j'étais allé jusqu'à Verdun avec les filles de la mère Viste. Cela nous arrivait souvent, tantôt à l'un, tantôt à l'autre, chaque fois qu'elles y allaient elles-mêmes pour faire provision de tabac : nous montions dans leur carriole, la jument grise trottait jusqu'à la place Chevert ; et nous nous disions au revoir : " A onze heures, porte Saint-Victor... "
Ce matin-là, deux " taubes *" tournaient au-dessus des roules; il faisait très beau : les bombes sifflaient dans le ciel pur et s'écrasaient l'une après l'autre vers les hangars blancs de l'aviation, vers les casernes aux toits rouges. Virginie s'était blottie sous la bâche, la tête cachée dans ses deux bras serrés; Estelle, plus courageuse, était descendue sur la route, pour voir. Les avions se sont éloignés; la jument s'est remise à trotter; nous nous sommes dit adieu place Chevert... Il y avait là un gendarme, un capitaine. Ce n'est pas vers moi qu'il est venu : il a attendu que j'eusse disparu, a rattrapé en courant les deux sœurs, les a menacées, terrorisées, tant qu'elles ont dû lui dire mon nom et mon régiment. Elles en ont pleuré toutes les deux ; elles m'en ont demandé pardon.
Pauvres gosses ! Cela m'a valu un rapport du capitaine-gendarme, huit jours d'arrêts du gouverneur, l'indulgence amusée du général, celle du colonel Boisredon, les félicitations des camarades : nous avons bu à mes huit jours d'arrêts un panier de bouteilles de Champagne.
Un gendarme qui faisait son métier, qui obéissait aux consignes... Il faut être " strict ", en temps de guerre. C'est la guerre qui est responsable, qui jette la prévôté aux trousses des soldats en vadrouille, et qui met au cœur des soldats cette haine contre leurs persécuteurs, contre " les cognes ". Je connaissais bien Bamboul, je crois, son dévouement, son intelligente bonté... J'ai entendu Bamboul raconter ceci, à l'hôpital : " Pierrugues était mort, écrasé; moi, j'avais un éclat dans l'œil, l'oeil crevé : j'ai mis une compresse par-dessus et j'ai cavalé vers l'arrière. Ça faisait mal, le sang dégoulinait, il me semblait que ma tête pétait. Et des obus au carrefour; des obus jusqu'aux Trois-Jurés... Aux T rois-Jurés, il y avait un cogne, un de ceux qu'on sème en barrage pour arrêter les débineurs. II a gueulé après moi; j'aurais voulu m'arracher l'œil pour le lui foutre par le blair. Une bordée de 105 a sifflé, le cogne s'est planqué, je me suis remis a cavaler. Rraoum! La dégelée tombait. Je me suis retourné, déjà loin : le cogne était resté planqué; il ne bougeait pas. Alors il m'a semblé... Chaque pas me tapait dans la tête; les obus rappliquaient toujours : je suis revenu quand même, pour être sûr, pour emporter ce
La prévôté pendant la guerre de 14-18