FAMILLE  GOUBIN - POULAT
La température, froide le matin et le soir, est dans la journée aussi forte, aussi élevée si ce n’est plus qu’à la Martinique par exemple. Donc, d’après moi, le printemps de Tahiti est un leurre, mais cela n’empêche pas le climat d’être très sain. Cependant, il y a un mais, j’y ai peu rencontré de vieillards, pour ne pas dire du tout. Pourquoi ? Peut-être à Tahiti ne vieillit-on pas, ou alors, que sais-je, on vous détruit pour vous en empêcher…
La ville de Papeete, bornée par les 2 ponts de l’Ouest et de l’Est est la capitale de Tahiti. C’est là qu’habite le Gouverneur (M. Julien est gouverneur de St Pierre et Miquelon). Le palais du Gouvernement, situé au milieu d’un immense jardin, est par le fait non un palais mais la plus belle maison d’habitation de la ville. A côté se trouve le secrétariat général et en face le Trésor. Ces quelques bâtiments, ainsi que les casernes (vides) de l’infanterie et l’artillerie coloniale, sont les vestiges de ce que fût l’arsenal de Faré-Uté. Tous les bâtiments publics disent que Papeete n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Il y a dû y avoir à Tahiti beaucoup plus de mouvement qu’il n’y en a à présent. Il est vrai que tous les commerçants se plaignent de la décadence, et cela au moment où les communications deviennent plus nombreuses, plus directes, plus faciles. C’est assez drôle. Le commerce de la vanille qui pendant longtemps a été prospère, n’est presque plus rien, tandis que celui de la nacre prend le même chemin. Cependant le commerce des cocos et du coprah prospère. Tahitii possède une belle église et plusieurs chapelles, des temples protestants, des temples mormons, etc.
La rade protégée du grand large par une énorme baie de corail, est grande et très profonde. Il y a toujours dans le port quelques câtres et goélettes, courrier de Mooréa des Iles sous le vent, des Pomoton, Marquises, etc. ; un wharf très grand où s’accostent les paquebots, une cale pour goélettes, un dépôt de charbon, complètent le port.
Le marché commence tous les matins à 9 heures et est souvent terminé à 6 heures, toujours à 6 heures et ½. On y trouve des poissons de toutes sortes, des crustacés, langoustes, crabes, crevettes (toulourous ou crabes de terre), des coquillages, mais cela n’est pas régulier ; le lundi par exemple, il ne faut compter sur rien. La viande y est passable. Les prix sont assez élevés. Quant aux légumes, il y a un peu de tout, pas trop cher ; ce sont les chinois qui en ont le monopole. On apporte aussi au marché des oranges, des banane, des paquets d’ananas,
des passions, des mangues, des mayorès et des feuilles ou bananes non sucrèes que les naturels mangent en guise de pain. Les volailles y sont en petit nombre. Les œufs sont hors de prix.
L’après-midi on trouve au marché du porc et du poisson.
Tahiti est très peuplé. En premier lieu viennent les Européens qui seuls tiennent le gros commerce. Les autres sont fonctionnaires ou officiers. Puis viennent les demi-blancs ou métis, croisement d’européens et de canaques. Puis, en troisième lieu, les indigènes ou canaques. Où donc sont ces fameuses tahitiennes dont on parle tant ? Pour moi, personnellement, je n’en ai vu que de vilaines. Elles sont plutôt laides que jolies, de grosses lèvres, des seins tombants, toujours pieds nus. Elles ont toutes les caratéristiques de la race noire, seuls leurs longs cheveux qu’elles portent tressés en une seule natte les embellissent un peu. A côté de cela qu’on en vante les complaisances, soit, elles sont au premier venu et ne se font pas prier, mais de leurs charmes, de la poésie qui se dégage d’elles comme dit Loti, nulle trace. Ce qui se dégage c’est la mauvaise odeur de l’huile de cocos qu’elles se mettent sur la chevelure.
Les hommes sont grands, bien bâtis, forts, mais eux aussi nullement préoccupés du pain du lendemain, ils se laissent vivre, mollement, passant leur temps avec le farniente et ne cherchant à gagner quelque argent que pour s’enivrer du samedi soir au lundi matin. Les femmes passent leur temps à tresser des chapeaux.
Un des grands passe-temps et plaisir des canaques, hommes et femmes, est la danse. J’ai assisté durant mon séjour, non comme invité officiel, à des fêtes données au gouvernement. J’y ai vu danser les dames du pays. Très curieuses mais bonnes à voir une fois ou deux. On s’en serait vite lassé. Ce ne sont pour ainsi dire pas des danses, mais de grotesques contorsions faites avec ensemble.
J’ai fait connaissance ici d’un nommé Dugué ex-cuisinier du commandant à bord de la « Durance », mais ici il a essayé d’y monter un hôtel, mais n’a réussi à rien. Il est maintenant gérant du cercle colonial.
Je me suis lié avec le cuisinier du Gouverneur, nommé François Magneur, venu ici sur la « Durance ». Il a fait la « Gelée » et le « Protet » et est maintenant chez le Gouverneur. J’ai oublié de relater le nombre considérable d’asiatiques émigrés à Tahiti, presque tous établis, ils font des affaires, c’est chez un de ces « Ténito » que tous les matins en compagnie de quelques vahinés nous allions prendre le café.
Je ne veux point clore le chapitre de tahiti sans adresser un affectueux souvenir à la famille Languesse, parisiens établis à Tahiti, qui ont été pour moi d’une grande amabilité, et avec qui je suis allé en excursion à Pénomaé.
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