Sans doute victime comme tous ses compagnons de misère de mauvais traitements et de chantage à la privation de toute nourriture, mon grand-père est cette fois contraint de travailler (lire le précieux rapport du médecin Marcel Lelong rédigé le 15 octobre 1916 à son retour du camp de Grodno).
Là il perd ses dernières forces et tombe malade. En mars 1916, des délégués Suisses visitent le camp. Grâce à leur intervention, en janvier 1917 mon grand-père est intégré à un groupe de grands malades dont un transfert vers un internement en Suisse est accepté. Il quittera donc Grodno, transitera par Zerbst, puis par Constance où il est signalé comme souffrant de « chron. Magendilatation » autrement dit de « dilatation chronique de l’estomac » conséquence probable d’une sous-nutrition, elle aussi chronique, et finit par arriver à Bex Villars près de Montreux le 27 juillet 1917.
Là, les conditions d’internement s’humanisent grandement, et même s’il est toujours
sous le statut de prisonnier de guerre, il peut être soigné et nourri convenablement.
Sa femme peut le rejoindre en août/septembre de cette même année, puis à Pâques de
l’année suivante.
En juillet 1918, toujours considéré comme « Grand Malade »
par les autorités qui gèrent ces prisonniers de guerre un peu particuliers, il obtient
d’être rapatrié vers la France.
Et c’est par train, au milieu de centaines d’autres compagnons « libérés » pour cette même raison, que mon grand-père quitte Montreux. Son séjour en Suisse aura donc duré un an
Au.terme d’un voyage chaotique*, à son arrivée à Brest, il sera réaffecté dans son régiment d’origine, le 2ème RIC.
Et ce n’est que le 9 mars 1919 qu’il sera enfin démobilisé, et reviendra chez lui, à l’école de Kerouze, après quatre ans sept mois et huit jours d’absence**…
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* Ce que les Allemands n’avaient pas réussi à faire, la grippe espagnole faillit
s’en charger. En effet, entre Montreux et Nantes, à chaque arrêt c’était plusieurs
morts que l’on descendait du train. Selon mon grand-père, une petite douzaine des
malades qui avaient été embarqués à Montreux descendirent sains et saufs à Nantes…
**À leur retour en France, les prisonniers de guerre français peuvent ressentir une
certaine amertume. Certes on ne va pas jusqu’à les traiter de planqués ou leur reprocher
d’être encore en vie, mais ils ne sont pas reconnus comme de vrais combattants.
Ils
ne peuvent par exemple prétendre ni à la Médaille militaire, ni à la Croix de guerre.
Bien que tous n’aspirent surtout qu’à vivre désormais en paix, les anciens prisonniers,
qui ont à leur palmarès des années de privation de nourriture, de mauvais traitements,
de travaux forcés, d’années de souffrances, d’humiliations et d’indignité, se sentent
blessés de ce rejet de la nation.
Les années qui ont suivi la Grande Guerre ont vu
paraître des milliers d’ouvrages, de rescapés des tranchées, de romanciers, d’historiens
qui ont raconté (et glorifié) les combats, mais rien sur les prisonniers. Il a fallu
attendre 1929 pour qu’un premier ouvrage traite du sujet, et la fin du XXème siècle
pour que les historiens l’étudient, c’est-à-dire quand la grande majorité d’entre
eux étaient morts…
Voir documents
Sources:
(S1) http://prisonniers-de-guerre-1914-1918.chez-alice.fr/lestroupes.htm
(S2)
http://jeanluc.dron.free.fr/th/32eRIC.pdf
(S3) http://genealegrand.pagesperso-orange.fr/haspres/haspres_1418_desire_cattiaux.htm